J’me fais suivre

En matière de DPP, il n’existe pas dix mille traitements. 90% du temps, on vous aiguille vers un/une psychiatre/psychologue. Le choix se fait à l’intuition, l’un est médecin, l’autre a un diplôme différent. C’est un peu au feeling. J’ai choisi de suivre la recommandation de ma sage-femme.

C’est comme ça qu’un beau jour de mars, j’ai atterri sur le divan d’une psy. Enfin plutôt dans un fauteuil face à elle, le divan c’est pour les films. Je plaisante, mais je me suis vraiment posée la question. Serais-je allongée ou assise ? Aura-t-elle une tête un peu lunaire ou bien sera-t-elle madame tout le monde ?

La réalité est bien plus terre à terre. Son bureau ressemble à n’importe quel bureau d’un médecin. Un ordinateur, des dossiers, un boîtier à carte vitale, deux fauteuils face à elle. Il y a bien un divan dans la pièce. Mais il est recouvert de dossiers et ne donne pas vraiment envie de venir s’y reposer…

Elle a ouvert un dossier vierge, a inscrit mon nom et a commencé sa série de questions. Banales d’abord, puis plus personnelles. On a balayé mon enfance, mes souvenirs, mes parents, mon adolescence, mes relations amoureuses, mes études. Une question revenait souvent : avais-je des angoisses. J’ai toujours eu du mal à y répondre. Le mot angoisse sonne tellement fort à mes oreilles que je réponds systématiquement non. Pourtant, oui j’en ai. Mais je les minimise. Ou alors nous ne mettons pas le même sens derrière ce mot. J’associe les angoisses aux crises d’angoisse, au coeur qui s’accélère, aux sueurs froides, aux idées noires etc… Je n’ai jamais connu cela… J’emploie donc le mot stress ou inquiétude.

J’ai donc répondu, en détail, petit à petit ma langue s’est déliée. Je n’ai pas pleuré, juste parler, parler, parler. Je lui coupais presque la parole, pour être sûre de ne rien oublier, de ne rien garder. Je voulais repartir de ce cabinet vide et légère. Ne surtout pas ramener chez moi ce qui m’encombrait tant.

Sans surprise, la DPP a été confirmée, sous une forme légère. Je ne m’autorise pas à me tromper, à tâtonner, à ne pas savoir. Je suis trop exigeante avec moi-même. Rien de nouveau sous le soleil donc…

En finissant la séance, j’étais tellement soulagée d’avoir vidé mon sac que j’ai failli partir sans payer ! Elle m’a demandé si je règlerai la prochaine fois, j’ai marqué un temps d’arrêt avant de comprendre que j’oubliais tout simplement de payer ma séance…

Je suis repartie avec ma prescription et ses derniers mots qui résonnaient dans ma tête : « autorisez vous ». Depuis, j’arrive, je crois, à m’autoriser davantage.

Le cas des AD

AD pour anti-dépresseurs. Un tout petit comprimé blanc qui me faisait si peur. D’emblée, quand la sage-femme a évoqué la piste de la DPP et les traitements possibles, elle m’a parlé d’AD. J’ai un peu paniqué à l’idée de soumettre mon cerveau à leur action.

J’avais peur de me retrouver stone, de délirer, de ne plus être moi-même, de ne plus pouvoir me concentrer, que ça se voit de l’extérieur. Je m’imaginais déjà dormir à moitié la journée et être éveillé tel un hibou la nuit. Je craignais de devenir accroc, de tomber dans une spirale infernale, de ne plus pouvoir en décrocher. Bref, je voyais ça comme une drogue. Je savais bien qu’il existait des doses faibles, mais malgré tout, c’est à tout cela que j’ai immédiatement pensé au moment même où elle a prononcé le mot.

J’avais déjà énormément de mal à réaliser qu’on me parlait de dépression, alors assumer les AD, c’était hors de ma portée. Et puis de fil en aiguille, je suis arrivée à la pharmacie avec ma prescription. Je n’ai même pas osé regarder la pharmacienne dans les yeux tellement j’avais honte. Je me prenais mon échec en pleine face. J’ai tout fait pour paraître la plus naturelle et enjouée possible. J’ai tout de même osé poser deux trois questions sur la posologie. Elle a dû bien sentir mes inquiétudes puisqu’elle a terminé par une toute petite phrase à peine audible qui m’a aussitôt rassurée : « ne vous inquiétez pas, vous avez une dose très faible ».

Les jours qui ont suivi, j’ai guetté les effets secondaires. Moi qui dormait plutôt bien, mis à part la phase pour trouver le sommeil, je me suis coltinée des nuits agitées comme jamais. A tourner, me retourner en permanence, la tête pleine de rêves bizarres. A me réveiller les paupières lourdes, plus fatiguée que la veille au soir. Ca n’a duré qu’une semaine. Ensuite j’ai retrouvé mon sommeil habituel. Et surtout le vélo a arrêté de tournicoter dans ma tête. Au coucher, je peux enfin repenser à ma journée, à mes questions, sans que cela devienne un tourbillon sans fin qui m’emmène bien loin du sommeil.

Côté journée, on peut dire aussi que l’effet est positif. Mon humeur s’est apaisée. Plus de montagnes russes, plus de colères subites, plus d’explosion pour des détails. Je pouvais enfin parler de tout ça sans cris, de manière constructive. Je me retrouvais enfin.

Mes craintes se sont avérés infondées. Je suis moi, en plus apaisée. Bien sûr, il m’arrive encore de m’énerver. Mais la colère est moins irrationnelle, je sens que je peux la maîtriser. J’ai retrouvé la maîtrise de moi. Et ça, ça fait un bien fou au moral. Je ne me sens plus perdre le contrôle, comme si je m’échappais de mon propre corps, telle une furie.

Je ne regrette pas d’avoir tenté les AD, malgré mes craintes. Bien sûr, je redoute encore l’arrêt. Je me demande ce que ça va donner. Suis-je prête ? Je me sens aller mieux, alors, quand arrêter exactement ? Bref, autant de choses à aborder avec ma nouvelle amie, j’ai nommé ma psy.

Je suis sa maman

Décidément, je cite beaucoup Marjolaine ces temps-ci… Il faut dire que ces articles sont toujours très inspirants.

A nouveau donc, un texte qui me parle beaucoup, au point de le relayer ici.

Pour ma part, je ne réalise absolument pas que je suis la maman de J. Au mieux, je me sens nounou. Au pire, j’ai l’impression que tout ça est irréel. Parfois mon esprit se détache et observe ces scènes de vie quotidienne comme si quelqu’un d’autre les vivait pour moi.

Je ne me sens pas maman, je l’aime plus que tout, je donnerai ma vie pour lui, je me sens bouillir quand on le « critique », je me sens louve quand on fait un geste que je n’approuve pas, mais maman, pour le moment, cela reste totalement abstrait.

Encore un trait bien éloigné des normes, de cette légende urbaine de la maternité qui est censé nous submerger à la naissance.

Montrer l’exemple

C’est un fait, nous – parents – sommes des êtres humains. Donc par essence,  nous sommes imparfaits. J’en ai bien conscience et pourtant je sens bien que je cherche à paraître parfaite aux yeux de mon fils. J’ai réussi à faire une croix sur la normalité côté logistique, mais il reste toute la partie éducation, caractère, valeurs, etc. Autant dire le moins évident.

On discute souvent entre nous de ce qu’on aimerait transmettre à notre fils. Chacun a ses requêtes, influencé par sa propre éducation. Heureusement, nous en avons reçu deux assez proches, on a donc les mêmes fondamentaux. De manière générale, pour ma part, j’ai envie d’insister sur ce qui m’a manqué à moi étant enfant. De l’écoute, de la compréhension, de l’empathie. J’étais aimé, mais j’avais l’impression qu’on ne me prenait pas au sérieux. Qu’on m’imposait des choses sans me les expliquer, aucune place au débat, à l’argumentation, à l’écoute de certaines de mes envies. Je ne parle pas des choses de base, je ne voulais pas discuter sur le pourquoi de certains interdits, j’aurais voulu qu’on m’écoute sur des choses banales, futiles. Mais même sur ça, c’était programme imposé.

Et puis il y a ces choses sujet à débat, qui touche aux préjugés. On ne se l’explique pas vraiment bien mais elles nous choquent, elles nous dégoûtent, elles sont incompréhensibles. On est dans le domaine du franc, du brut, du sans nuance. Dans quelques jours ou semaines, il est probable que je me fasse – enfin – tatouée. L’avenir nous dira si je ne recule pas. Mais pour le moment, je suis décidée. La réflexion aura duré des années. J’en ai toujours eu envie. Par toujours, j’entends depuis l’adolescence. Ce qui n’était sûrement au départ qu’un caprice de jeunesse est devenue une idée fixe. C’est un fait, j’aime certains tatouages, je les trouve beau. Bien sûr, je trouve aussi que ça donne du chien. En fait, je trouve que ça habille le corps, qu’ils soulignent les courbes, marquent les creux, comme un bijou. J’aime la façon dont ils reflètent la personnalité des gens, qu’ils aient une signification ou non. J’aime bien la façon dont ils convoquent l’imaginaire de celui qui les admire.

Ce qui m’a retenu jusqu’à ce jour, c’est essentiellement la réaction de ma mère. Et la peur de la douleur. Voilà, c’est dit, j’ai toujours été effrayée à l’idée de supporter sa désapprobation, de lire la déception dans son regard. Passe encore à l’adolescence. Mais à 30 ans, ça en devient ridicule. Et puis, la peur de la douleur s’est estompée, le motif s’est précisé, l’emplacement aussi, la projection s’est faite de mieux en mieux et la dernière barrière a fini par tomber. D’où me vient ce déclic soudain ? Je ne parviens pas à savoir. Probablement que la DPP y est pour quelque chose. Peut-être qu’enfin je me sens d’assumer complètement mes choix, dans tous les domaines. Au diable la désapprobation. Je me sens prête à subir tout ça. Et même mieux, je sens que cela me laissera indifférente. Oui je prends un chemin à l’opposé de ces aspirations. Et je m’en fiche.

Mais qu’en sera-t-il de mon fils ? Quand il voudra plus tard se faire tatouer comme papa et maman. Que lui dirons-nous ? Nous en avons discuté ce week-end. Nous lui dirons probablement de réfléchir. Longtemps. Cela semble simple comme ça. Nous aurons sûrement beaucoup plus de difficultés s’il s’agit de demandes qui vont à l’encontre de nos goûts. Je me demande bien quelle attitude nous adopterons. Je ne sais pas ce qu’il en est de mon homme, mais je sens bien que par moment j’ai tendance à projeter certains de mes envies sur mon fils. Moi qui n’est jamais été sûre de moi, j’ai envie qu’il déborde de confiance en lui. Quelle sera ma réaction s’il est aussi timide que moi ? Je redoute d’être déçue et surtout de lui faire ressentir ma déception, comme je l’ai tant de fois perçue dans les yeux de ma mère.

On a encore le temps de réfléchir à tout ça, mais ce tatouage a eu le mérite d’ouvrir la discussion.

En attendant, j’ai drôlement hâte de me faire faire ce gribouillage. La douleur m’inquiète encore un peu, mais je me sens prête à la supporter. L’envie est définitivement plus forte. A suivre…

Une maman…

Ce texte est si juste. Si seulement je l’avais lu plus tôt…

Je n’aurai qu’un message pour des futures mamans perdues : parlez en, malgré la honte, malgré la tristesse, malgré l’orgueil, malgré tout. A votre compagnon, à votre amie, à votre ami, à votre soeur, à votre mère, à votre médecin, peu importe qui. Ne restez jamais seule avec ce poids.

Merci Marjolaine pour ce joli texte.

C’est la fête ! ah bon ?

Vous n’avez pas pu y échapper, hier c’était la fête des mères. C’était aussi les élections européennes, mais apparemment la politique a largement perdu face aux fleurs et aux déjeuners en famille.

Or, donc, c’était jour de fête pour les mamans. J’ai bien sûr appelé la mienne pour la lui souhaiter. J’ai repensé à l’évolution du cadeau de ce jour-là. Petite, il y avait les cadeaux-merdouille, comme je les appelle, ces petits objets absolument inutiles, mais absolument touchants tellement ils sont chargés de souvenirs. Puis il y a eu les vrais cadeaux, choisis par moi, payés par papa. Au début, on a mille idées. Après quelques années, on galère, on a épuisé le stock de bijoux, box, parfums, massages à offrir. On finit avec les fleurs, remises en main propre quand on habite encore chez papa-maman ou pas trop loin, puis c’est le simple coup de fil quand on est loin, quand on vieillit.

Le geste s’épure, il ne reste alors que l’essentiel de l’essentiel, la pensée pour sa maman, la parole douce à entendre, le témoignage de notre amour pour elle. Certains sont des bavards et trouvent qu’on devrait le témoigner chaque jour, d’autres sont plus pudiques, et ce jour devient l’occasion de le verbaliser au moins une fois dans l’année.

J’ai aussi pensé à ma belle-mère. Si elle avait su ça, ma mère aurait sûrement ressenti une pointe de jalousie. Mais leurs caractères sont tellement différents que parfois, elles se complètent parfaitement pour devenir la mère parfaite à mes yeux, enfin presque… J’ai été touchée qu’elle soit touchée par mon petit mot. Une façon pour moi de lui témoigner mon attachement, j’ai tellement peu d’occasion de le faire.

Et on m’a donc souhaité à moi aussi ma fête. Ma première fête des mères. Je n’attendais pas ce jour avec impatience, il n’est pas source d’émotion pour moi. De toute façon, j’avais déballé mon cadeau-merdouille le vendredi, trop impatiente de le découvrir. Évidemment, je l’ai adoré, j’adore les cadeaux-merdouille, j’adore les cadeaux en général (coucou mon chéri !), et j’adore les surprises surtout. Peu importe l’objet, peu importe le prix, j’adore découvrir.

Je vais donc soigneusement choisir une malle pour entreposer mes cadeaux-merdouilles. Finalement, les émotions, elles seront là. Dans la découverte du cadeau, dans le choix de son endroit pour être exposé, dans le choix de la malle. L’accumulation des souvenirs, année après année. Quand j’y pense, c’est un peu glauque, cette malle, c’est un peu un cercueil pour ces objets. On les expose, on les admire, puis on range les plus vieux pour faire de la place, on vient se recueillir dans les moments de nostalgie, ils vont nous suivre de déménagement en déménagement. Ce que j’aime dans ces objets inutiles, ce sont les souvenirs qu’ils permettent de garder. J’ai l’impression qu’avec eux, on oublie moins. J’ai le souvenir fugace, alors avec eux, je sais que j’oublierai moins.

Mais en tout cas, ce jour si spécial ? Bof. Je crois que je peux le dire, je m’en fous de la fête des mères.

Edit : je lis beaucoup d’articles sur le thème de la fête des mères. Je m’aperçois que la symbolique de ce jour peut être incroyablement douloureuse. Alors je me permets d’avoir une pensée pour tous ces couples qui doivent attendre, qui sont mis à l’épreuve et qui rêvent de ce jour si spécial, si particulier, parce que le jour où ils y seront, c’est qu’ils tiendront au creux de leurs bras le cadeau le plus précieux.

Espace vital

Souvent j’ai le sentiment d’étouffer. Comme si mon espace de vie était subitement devenu trop petit. Au début j’ai cru que c’était ma tranquillité qui me manquait, du temps pour moi. Désormais, je sais que cela va au-delà de ça. Oui j’ai très souvent envie d’être juste seule. Mais je sens aussi que la présence de mon fils touche à mon espace vital.

Au fur et à mesure que je prends mes repères, je redéfinis le contour de mon espace à moi. Il est plus petit qu’avant, plus malléable. Je dois accepter qu’il y fasse intrusion à tout moment, même les plus inopportuns. Qui n’a jamais connu ce doux moment où on profite d’un passage aux toilettes pour souffler 5 minutes, voir davantage, persuadé que dans ce recoin, personne ne viendra nous déloger. Et d’entendre au loin un hurlement, sonnant la fin de la parenthèse.

Il m’a fallu du temps pour accepter de partager à ce point mon propre espace. Pour ne plus trouver pesant de devoir répondre à ses innombrables appels. Je suis devenue experte de la tâche morcelée. C’est ce que j’appelais le renoncement à soi. Nous ne sommes plus notre propre priorité. L’altruisme à l’état pur. Y compris pour les choses les plus vitales et basiques. Comme se nourrir, dormir, se laver…

Alors, quand vient enfin ce moment, le soir, où le calme se fait, je n’ai même plus envie d’allumer la télé, de lire, de zoner sur internet. J’ai juste envie du silence, entendre ma propre respiration, être seule, presque repliée sur moi-même. Il m’est arrivé de repousser la main de mon mari, ne plus être touchée, envahie. Le temps de me reconnecter avec moi-même. De recharger les batteries. Pour être prête de nouveau à partager.

Moi qui n’aimait la solitude qu’à petite dose et qui avait tendance à m’ennuyer, je me prends à rêver à deux ou trois jours off, seule, à regarder le temps filer, sans vouloir le rattraper. Ce temps que je ne vois plus passer, mon temps qui ne m’appartient plus, je voudrais de nouveau avoir le temps de l’observer, avoir conscience qu’il passe. Au lieu de subir ce tourbillon, impuissante à le retenir.

PS : ce billet m’a été inspiré par celui-ci.

L’empreinte de nos parents

Je me demande souvent quels souvenirs on peut garder de nos toutes premières années de vie. Et même de la période intra-utérine. Il paraît qu’à cet âge-là, nous sommes des éponges. Mais garde-t-on la mémoire de toutes ces émotions absorbées ?

La mémoire du corps et les souvenirs me fascinent. Comment se fait la ségrégation entre les souvenirs imprimés et ceux qui passent à la trappe? Quels critères pour tamiser toutes ces informations ? Pourquoi des odeurs, des couleurs, des images ? Pourquoi parfois ces impressions de déjà-vu ?

Dans la continuité de ces questionnements, je me demande souvent quelle empreinte nos parents nous laissent dans le corps et dans l’esprit. De quelle manière nous façonnent-ils ? Je trouve ça parfois inquiétant cette capacité que notre corps a de mémoriser ces choses infimes. Sans nous en laisser le choix. Ou tout du moins consciemment. Comme s’il fallait faire une confiance aveugle à notre subconscient (ou inconscient?). Cette inquiétude reflète bien ma volonté de contrôler un maximum de choses. Alors que la vie est faite d’imprévus. Alors même que nos personnalités sont un subtil mélange de génétique, d’influences parentales, familiales, environnementales et de choix. Quelle part pour notre libre arbitre au milieu de tout ce que nous ne maîtrisons pas…

Quand je doute de mes choix vis-à-vis de J., c’est tout cela qui me paralyse. La peur de faire le mauvais choix pour lui. La peur d’avoir une mauvaise influence, de lui laisser des séquelles, d’être à l’origine de micro-traumatismes dont il aura bien du mal à se défaire par la suite. Être responsable des premières années de vie de quelqu’un me semble terriblement difficile. Chaque décision me semble irrémédiable, chaque choix est cornélien, puisque, par essence, il y a toujours des inconvénients, chaque croisée de chemins me fait tergiverser. Il me faut encore du temps avant d’envisager de faire à l’instinct, au feeling, à ce qui me semble le mieux à mes yeux.

J’aurais aimé pouvoir lui laisser le choix total de sa personnalité, lui permettre de démarrer son histoire avec une page blanche. Ainsi il aurait pu façonner son caractère au gré de ses rencontres, de son chemin de vie. Et moi j’aurais pu me dédouaner en cas de mauvaises décisions. Quelque part, je crois que je n’assume pas l’empreinte que je vais lui laisser, probablement parce que je la dévalorise. Je tente en vain de me persuader que tout n’est pas joué alors que, déjà, dans mon ventre, je le marquais au plus profond de son être.

Couper le cordon

Ma mère n’est pas au courant pour ma DDP. Pour plein de raisons. Mais surtout parce que je n’assume pas. Je m’empêche de faire beaucoup de choses par peur de sa réaction d’ailleurs, ce n’est pas nouveau pour moi, j’en ai parfaitement conscience. A 32 ans, cela en devient ridicule quand même, non ?

Quand j’étais enceinte, je réfléchissais souvent à la façon dont elle m’a élevé et à ce que je voudrais reproduire ou non de tout ça. Ma sentence est sans appel, j’ai tendance à partir à l’opposé. Pourtant, je pense avoir été bien élevée. A l’ancienne, mais bien élevée. Malgré tout, si je ne devais retenir qu’une seule de mes réflexions, c’est bien celle qui me fait dire : « je ne veux surtout pas être comme ça! ».

Pour faire court, à la maison, on ne m’a que peu écoutée, surtout à l’adolescence. Un père souvent absent pour son job, je pense manquer de la reconnaissance masculine dont une jeune fille a besoin. C’est un fait, mon père a complètement remis les clefs de mon éducation à ma mère. Peu d’écoute donc, peu de loisirs, beaucoup de travail et surtout, surtout, une exigence de perfection infernale et non-droit à l’erreur permanent. Je suis marquée au fer rouge par l’idée que je dois être parfaite. Aux yeux de qui, je ne sais pas trop… Un peu de tout le monde… Ma mère, bien sûr, mais aussi mon mari, mes ami(e)s, mon patron etc….

Perfection à l’école, perfection dans les études, perfection dans le sport, perfection dans l’apparence, tout était passé au crible, la moindre incartade réprimée, le moindre fléchissement condamné. Toujours bien dans le droit chemin, ne surtout pas s’en écarter, ne pas se tromper, ne pas oser. J’avais mon mantra : « nous n’avons pas le droit à l’erreur, on a pas de seconde chance dans la vie ».

C’est comme ça que je suis devenue une adulte timide, pas très téméraire pour oser quoi que ce soit dans n’importe quel domaine. Avec ce modèle de perfection qui me colle aux basques. Dont je peine à me débarrasser pour enfin vivre ma vie telle que je l’entends, sans régime, en osant (s’habiller, parler, se faire tatouer…), en se trompant, en recommançant, sans avoir d’autres craintes que le manque de temps, en étant libre.

Et donc, qui dit perfection, dit mère qui assume son rôle, sans faiblesse. Et qui ne fait donc pas de DPP. Avouer ma DPP à ma mère, c’est avouer ma faiblesse. C’est avouer que je n’assume pas encore la responsabilité de mon fils, que j’ai du mal à me faire à cette charge. J’aurais l’impression de faire un caprice devant elle, de rechigner devant un devoir un peu coriace. Comme une gamine qui ne veut pas devenir adulte et assumer les responsabilités qui vont avec. J’ai bien conscience que la pression, je me la mets toute seule. Je pense que ma mère comprendrait mais je n’en suis pas persuadée. Mais le doute persiste, tenace, au point de me bloquer.

Alors je garderai ça pour moi. Je préfère me concentrer sur d’autres choses la concernant. Cela prend du temps, mais je commence à m’affranchir de ses règles à elle, pour construire les miennes, les nôtres, celle de notre famille.

Le mirage de l’instinct maternel

Je croyais dur comme fer à l’instinct maternel. Qui me tomberait dessus à la seconde même où on poserait mon bébé sur moi. Un regard et je serai submergée d’amour, les larmes aux yeux. Manquait plus que la lumière au-dessus de nous pour illuminer ce joli tableau digne d’un magazine Parents et tout était parfait.

A la place, on a posé mon fils sur mon ventre, il est un peu bleu, j’étais épuisée, à bout de souffle, on s’est regardé, incrédules tous les deux, point de larme. Quelques secondes plus tard, on l’a emmené car il ne respirait pas correctement. Adieu lumière blanche, vague d’amour, lien immédiat, on est loin du film hollywoodien.

Mais j’y croyais encore. Certes, il ne m’était pas tombé dessus dès la naissance, mais c’était sûr, après quelques heures, je ressentirai cette vague. A chaque regard vers son berceau, je l’observais et je guettai mes sensations. Pas de vague. Que dalle. Le vide. Puis happée par le tourbillon des soins, visites, photos, j’ai enfoui ma peur, loin, bien cachée, craignant que ce soit ça qui m’empêche de ressentir cet élan d’amour.

Les jours, les semaines, les mois sont passés. J’ai fini par admettre que le lien se créait petit à petit. Je me souviens très précisément d’une conversation avec ma belle-mère, qui avait visé très juste. Elle me demandant si je m’étais sentie mère dès le départ. Moi lui répondant que, non, c’était venu progressivement. Elle l’avait vu. Dès sa première visite. Mais n’avait rien dit. Je la remercie. Une remarque ce jour-là m’aurait mise en miette. Appuyant là où ça faisait si mal. D’être encore une fois loin des codes véhiculés par notre société, adepte du parfait, du bonheur à tout pris. Ainsi, j’avais accepté d’être de celles, imparfaites, qui deviennent maman au fur et à mesure.

Plusieurs mois plus tard, je ne sais toujours pas si je me sens maman. Les mots « mon fils » raisonnent encore étrangement à mes oreilles. J’ai l’impression qu’on parle de quelqu’un d’autre. Moi, la femme à l’allure de gamine, une maman ? Quel sketch ! Je me sens nounou finalement.

Mais je dois admettre que le lien est là. Je le sens se renforcer de jour en jour. Je n’ai plus peur de mon fils, de ses réactions, de ne pas savoir les comprendre, les gérer, je n’ai plus l’impression de parer au plus pressé, je suis actrice. Je ne subis plus. Et ça change tout.