Incrédulité. J’ai ce mot qui me colle à la peau. Je ne l’aime pas. Il symbolise mon incapacité à me positionner sur la naissance de mon fils. Et surtout il cristallise cette absence d’élan d’amour. Car, oui, je l’écris noir sur blanc, je n’ai pas eu cet élan d’amour pour cette petite chose qui dormait dans son berceau transparent.
Parce que plein de choses. Quelques secondes sur moi et hop il était parti. 10 longues minutes. Parce que je ne sais pas m’occuper d’un bébé. Parce que je n’ai pas confiance en moi. Parce l’inconnu m’effraie. Parce que je rationalise toujours tout, c’est ma façon de me rassurer sur ma capacité à assurer.
Les premiers jours, je suis focalisée sur la technique. Je ne connais pas les gestes, on me montre, je reproduis. Sans me les approprier. Dans ma tête, je raisonne : on me montre l’exemple, je retiens, je reproduis. Je suis bonne élève, je suis fière de moi. Ça suffit à mon bonheur sur le moment. Mais tout est tellement mécanique. Aucun feeling, aucune émotion, je suis concentrée pour répondre aux besoins de mon bébé. Le nourrir, le changer, le laver. Il pleure peu, parfois la nuit, je le prends avec moi, il se calme, je le repose. Je me rendors.
Il faudra une petite phrase anodine d’une aide-soignante pour provoquer un déclic. « Vous savez, vous pouvez le prendre dans vos bras. » Et là, la réalité me saute aux yeux. Je n’ai même pas pensé à câliner mon bébé. Cela fait un jour et une nuit qu’il est là et ça ne m’a pas effleuré l’esprit. Je suis trop estomaquée pour en pleurer.
Alors je le prends, je l’examine, sous toutes les coutures, je le découvre enfin. Avec les yeux. Moi la dingue de bisous, il se passera plusieurs jours avant que mes lèvres n’effleurent son front. Oh, bien sûr, en salle de naissance, j’ai embrassé son petit crâne. Machinalement, sans vraiment penser à mon geste, sans y mettre tout mon amour et toute ma chaleur.
Ecrire ce texte me remue, moi la maman d’avril 2014. Mais la maman de juillet 2013 trouve qu’elle se débrouille pas mal. Elle sait s’occuper de son bébé. Elle a conscience que le lien se fait progressivement, mais est tellement prise par les annonces, les photos à envoyer, qu’elle ne réalise à quel point elle passe à côté de moments de grâce. La maman d’avril 2014 est pétrie de remords. Aucun souvenir de son odeur, aucun souvenir de cette petite main qui s’ouvre pour la première fois, de ses cheveux qui chatouillent mon nez, de cette nuque qui se dévoile. Comme un trou noir.
Je n’avais pas mesuré le chamboulement que représente une naissance. Je suis complètement passée à côté de ce tourbillon. Je l’ai subi, je l’ai théorisé, dans des couches, dans des biberons, dans des ml de lait.
Quelques jours occultés. 4 malheureux petits jours. Aujourd’hui je donnerai cher, très cher, pour revivre ces 4 jours.